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Cher André Miquel,
Vous m’avez appelé le 16 Novembre 2009 au soir pour me demander mon avis sur le projet que vous aviez de donner vos livres à la Bibliothèque universitaire d’Aix. Je vous ai répondu que j’allais aussitôt contacter Martine Mollet. Il était 19h32, ce même soir, quand je lui ai écrit. Le 17 au matin, à 8h45, sa réponse tombait :
« Quel honneur et quel bonheur ! Vous savez ce que représente André Miquel pour les bibliothèques universitaires ! »
Vous connaissez la suite. Martine Mollet et Nelly Kuntzmann vous ont rencontré en mars de l’année dernière et ce qui devait être un don de livres est devenu le don d’un fonds entier, livres et archives, qui ont permis à la Bibliothèque Universitaire d’Aix de constituer cet Espace de Recherche et de Documentation qui porte votre nom et que nous inaugurons aujourd’hui.
C’est le second du genre après celui consacré au prix Nobel chinois de littérature, Gao Xingjian, inauguré en 2008. Ainsi, et par deux fois, la BU a choisi d’honorer les études orientales, chinoises il y a trois ans, arabes aujourd’hui.
Nul doute, ce choix fait sens et d’abord par rapport à vous-même : vous êtes originaire de cet arc méditerranéen, comme on dit, Languedoc, sinon Provence, mais Provence que nous avons dans le nom d’Aix ne fait que prolonger en français la Provincia Romana, dont la très languedocienne Narbonne était la capitale. Et, on l’a déjà rappelé, c’est à Aix que vous avez commencé votre carrière universitaire, y étant en poste entre 1962 et 1964.
Ensuite par rapport à Aix. Au fil des ans, Aix s’est imposé, non seulement sur le plan national, mais encore international, comme un des grands centres d’études arabes et, au-delà, islamiques. Elle doit sa renommée à une longue lignée d’enseignants et de chercheurs éminents, dont je ne citerai ici que deux : l’un, dont vous avez été ici-même le collègue, Roger Le Tourneau, qui vous aimait beaucoup, et l’autre qui vient de disparaître, André Raymond, dont vous étiez l’ami, et qui, entre autres, fut le fondateur de l’IREMAM. L’IREMAM et le Département d’Etudes Moyen Orientales de l’Université de Provence constituent les deux ailes de l’édifice aixois des études arabes, solidement assis sur des centres de documentation que beaucoup nous envient, et dont le plus beau fleuron est constitué par les riches collections (et qui ne cessent de s’enrichir) de la BU et auxquels l’ERD André Miquel ajoutera un « plus ».
Espace de recherche et de documentation. Commençons par la fin, qui est aussi le début : la documentation. Votre bibliothèque compte environ deux mille cinq cents livres, reflet de votre activité d’analyste et de traducteur de la littérature arabe classique, dans ses trois genres fondamentaux : poésie, récit, littérature technique. Mais en parcourant les rayons de cette bibliothèque, avec l’œil du bibliophile, je suis tombé en arrêt sur quelques trésors pour lesquels Martine Mollet m’a prié de rédiger une note que vous trouverez sur le site de votre ERD. Parmi la dizaine de titres que j’ai sélectionnés, je n’en citerai ici que deux. D’abord Kalîla wa-Dimna d’Ibn al-Muqaffa‘ (m. 139/756), adaptation arabe de la version pehlevie des Fables indiennes de Bidpaï, qui fut votre première traduction publiée, à Paris, chez Klincksieck en 1957. L’exemplaire de votre bibliothèque est presque la plus ancienne édition imprimée arabe : elle date de 1251 (1835), la toute première étant de 1248, les deux imprimées à Bûlâq. Mais la valeur de votre exemplaire tient au fait qu’il est couvert de vos notes manuscrites, reflet du labeur du jeune traducteur ! Ensuite le Dîwân de Mutanabbî (m. 354/965), avec le commentaire du grammairien ‘Ukbarî (m. 616/1219), imprimée à Bûlâq en 1308H. Ce n’est certes pas la plus vieille édition imprimée (la première remonte à 1261), mais, là encore, la valeur de l’exemplaire est augmentée par le fait qu’il a appartenu à votre maître Régis Blachère, qui contesta jadis l’attribution du commentaire à ‘Ukbarî.
Recherche. Nous espérons, les dames de la BU, comme moi-même, que l’exploration et l’exploitation de votre fonds, si riche et divers, occupera longtemps de jeunes chercheurs d’ici ou d’ailleurs, contribuant, entre autres, à une histoire bien comprise, je veux dire loin de l’idéologie et de la polémique, de l’orientalisme arabisant, en soulignant, dans un cas comme le vôtre, son étroite connexion avec l’humanisme.
Cher André Miquel, l’ERD, qui porte votre nom et consacré aux études arabes, constitue pour nous et pour reprendre la formule de Martine Mollet, tout à la fois un honneur et un bonheur, pour nous tous, mais, bien sûr, un bonheur pour moi tout particulièrement, qui ai l’honneur de représenter ici vos anciens étudiants de Paris III, donc d’un temps d’avant le Collège de France, et d’y perpétuer la thématique qui faisait l’intitulé de votre chaire au collège de France : la langue et la littérature arabes classiques.
Pierre Larcher